Après une remise en état générale, la 1ère armée se tient prête.
De Lattre, qui n'était pas revenu à Paris depuis 1940, y rencontre le général de Gaulle.
Les deux hommes partagent une même certitude : « Participer à l'invasion de l'Allemagne est pour notre pays un devoir et un droit ».
Les plans alliés ont prévu le franchissement du Rhin, au nord de Spire, par les armées anglaise et américaine. Rien n'est prévu pour l'armée française. Ni de Gaulle ni de de Lattre n'acceptent cette situation. L'armée française franchira aussi le Rhin. De toute façon elle entrera en Allemagne. Ainsi le veulent la nation, l'armée, et leur chef.
Nous disposons de la 1ère D.B., de la 4ème D.M.M., de la 9ème D.I.C., de la 14ème division qui vient d'être constituée avec des unités d'origine F.F.I. Un certain nombre d'autres unités de valeur sont en outre rattachées.
Par contre, la 2ème D.I.M. passera au 2ème corps et quelques jours après, Linarès en prendra le commandement.
De Lattre s'est installé à Mulhouse. Il monte une école de cadres à Rouffach. A cet endroit, de Lattre galvanise les jeunes, forge le moral et crée l'unité.
Le 29 mars, je suis convoqué par de Lattre à Guebwiller. Il est tard, plus de 21 heures. Il vient de recevoir un télégramme de de Gaulle lui donnant l'ordre de franchir le Rhin en Palatinat par tous les moyens possibles, même avec des barques, car dit-il, « Karlsruhe et Stuttgart nous attendent, si elles ne nous désirent pas ».
Il s'agit donc de passer avant les Américains. Monsabert est alerté ; il prépare l'opération à Spire et Gemersheim, mais aucune date n'est arrêtée.
De Lattre l'appelle au téléphone; muets nous écoutons un étonnant dialogue :
« Allô, Monsabert, vous passerez le Rhin demain ». Un silence … On comprend que ce dernier a quelques hésitations… Nous n'entendons pas ce qu'il dit mais par contre la voix de de Lattre éclate :
« Comment, 'on essaiera' , il ne s'agit pas d'essayer. C'est un ordre ! Vous franchirez le Rhin demain ». Sans un mot de plus, il raccroche.
Le lendemain 31, car il est plus de minuit, je suis à Kandel en Palatinat, avec de Lattre. Sans hésiter et avec l'audace qui le caractérise, Monsabert a exécuté l'ordre.
Au sud de la 2ème D.I.M., le 4ème R.T.M. a rencontré quelque résistance mais a pris pied sur la rive droite. Le 151ème a échoué ce matin, mais il recommence. De Lattre est plein d'euphorie.
Lorsque, le 30 mars, de Lattre donne ordre de traverser le Rhin la nuit suivante, il ne dispose que d'une cinquantaine d'embarcations, à la suite des prélèvements pour elle-même, de l'armée américaine. « l'entreprise est si audacieuse que son audace nous sert », écrit de Lattre.
Les tirailleurs nord-africains et le 151ème R.I. (les anciens de la libération de Paris) réussissent le passage de vive force grâce aussi aux efforts du génie. Le soir deux solides têtes de pont sont établies : l'une à l'est de Spire, l'autre au nord-est de Gemersheim.